Communiqué sur la retransmission du Procès de monsieur Hissène Habré

Le CNRA rappelle aux médias le respect de la présomption d’innocence, la protection des parties et du public

 Les chambres extraordinaires africaines s’apprêtent à ouvrir le procès de monsieur Hissène Habré en vertu de la convention liant le Sénégal à l’Union africaine. Cette convention prévoit de filmer et d’enregistrer les audiences du procès en vue d’une diffusion publique. Le Conseil national de Régulation de l’Audiovisuel (CNRA) s’était prononcé sur la question par avis en date du 07 avril 2014 en insistant sur les dangers d’une diffusion qui ne serait pas précédée d’une réflexion partagée. Ce préalable aurait permis de discuter les éléments soulevés par cet avis du CNRA, alors surtout que la convention ne précise pas les conditions pratiques de la diffusion. Le mutisme de la convention sur les modalités, de diffusion des audiences du procès renvoie au régime juridique de droit commun pour déterminer les conditions d’information du public dans le respect des principes qui gouvernent l’office des médias.

Le déroulement des audiences judiciaires requiert ordre, sérénité et dignité dans un environnement de solennité. Rendue au nom du peuple, la justice porte au public ses délibérés et les débats qui y ont conduit. Mais elle doit, durant tout le processus de construction de sa décision, préserver la présomption d’innocence, le droit à l’image, la dignité et l’honneur de toutes les parties au procès. L’articulation de ces différentes exigences se réalise en tenant compte également du droit du public à l’information et de la dimension pédagogique du jugement.

L’enregistrement et la diffusion des débats d’audiences ne sont ni admis, ni autorisés, ni organisés dans notre arsenal juridique interne. L’explication en est toute simple, la réflexion préalable n’ayant pas été menée, le déroulement du procès continue d’obéir aux principes qui l’encadrent. La perspective d’admettre les micros et caméras dans la salle d’audience doit être strictement encadrée.

Le procès pénal charrie des passions. Le rappel des faits et la recherche du niveau d’implication des acteurs réveillent de douloureux souvenirs. Les argumentaires soutenus à la barre des juridictions convoquent souvent des éléments qui ravivent la tension. Le procès pénal est un moment polémique. Les actes qui y sont appréciés impactent l’ordre public. C’est que qui justifie que le législateur accorde au président de juridiction les pouvoirs les plus larges pour construire l’ambiance et l’environnement de déroulement des débats. L’objectif principal est de garantir la sérénité et la dignité des débats.

 Autoriser l’enregistrement et la diffusion d’une audience judiciaire heurte plusieurs principes qui gouvernent la distribution de la justice. La posture du mis en cause dans la recherche et les discussions publiques des charges et des éléments de preuve l’expose aux appréciations profanes d’un public pas toujours préparé. Les arcanes d’un procès pénal peuvent conduire à des issues déroutantes. La présomption d’innocence irrigue toutes les étapes du procès pénal. Elle prolonge ses effets dans la possibilité que la première juridiction se soit trompée. Il appartient au condamné en première instance d’user des voies de recours offertes par la loi afin qu’une juridiction supérieure se penche à nouveau sur son cas pour confirmer ou remettre en cause la première décision. Une médiatisation marquée d’une audience pénale risque d’emporter l’opinion au détriment de la distribution cadencée et réfléchie de la justice à toutes les étapes de la procédure.

Les droits de la personne mise en cause (à la préservation de la vie privée, à l’honneur, à la dignité…) doivent être protégés à toute étape de la procédure. Or, tout élément pouvant conduire à la manifestation de la vérité peut être évoqué et discuté durant les débats. La retransmission audiovisuelle des débats produit des effets sur l’orientation et la sérénité des débats d’audience. Elle expose les parties civiles, les témoins, ainsi que les agents de certains corps protégés par le secret, en anéantissant l’anonymat. La présence des micros et caméras dans une salle d’audience, transmettant le déroulement d’un procès, peut perturber l’objectivité des débats, troubler la justice dans sa démarche. Le danger d’une appréciation concurrente entre l’opinion du public et la décision des professionnels se pose avec acuité dans une situation où la protection des parties est réduite à sa plus simple expression. C’est faire le lit de la justice populaire en l’encouragent aux côtés de la justice institutionnelle.

Le désir de fixer des moments importants de la marche de nos pays peut se comprendre. Il est possible de le satisfaire tout en préservant les droits des parties à un procès pénal. Les autorisations de captation aux fins d’archives – autorisations que reproduisent les tribunaux spéciaux des nations unies et la cour pénale internationale – suffisent amplement. Au Sénégal, Le cahier de charges applicable au titulaire d’une autorisation de diffusion de programmes de télévision aménage le régime de traitement des affaires pendantes devant une juridiction, en ses articles 18 et 21.

Aux termes de l’article 18 « dans le respect du droit à l’information, la diffusion d’émissions, d’images, de propos ou de documents relatifs à des procédures judiciaires ou à des faits susceptibles de donner lieu à une information judiciaire nécessite qu’une attention particulière soit apportée :

  • d’une part au respect de la présomption d’innocence, c’est-à-dire qu’une personne non encore jugée ne soit pas présentée comme coupable ;
  • d’autre part au secret de la vie privée et à l’anonymat. »

Le même article précise que « lorsqu’une procédure en cours est évoquée à l’antenne, le titulaire veille à ce que :

  • l’affaire soit traitée avec mesure, rigueur et honnêteté,

–   le traitement de l’affaire ne constitue pas une entrave caractérisée à cette procédure

  • le pluralisme soit assuré par la présentation des différentes thèses en présence, en veillant notamment à ce que les parties ou leurs représentants soient en mesure de faire connaître leur point de vue. »

L’article 21 du cahier de charges prévoit que «  le titulaire s’engage à ce qu’aucune émission qu’il diffuse ne porte atteinte à la dignité de la personne humaine. Le titulaire respecte la vie privée, l’image, l’honneur et la réputation de la personne humaine. »

La définition du cadre de retransmission d’audiences judiciaires nécessite d’organiser les conditions de captation d’images, les incidents qui peuvent survenir, l’adhésion du mis en cause et des autres parties au procès dont l’autorisation doit être recherchée. La possible incursion de la publicité et du sponsoring au moment de la diffusion par la chaine autorisée ou celles qui reprennent le signal laisse craindre une utilisation mercantiliste du procès.

Le droit à l’oubli, consacré par la loi pénale ne court-il pas le risque de se voir dépouillé de sa signification par la pérennisation d’images qui auront fait le tour du monde et gravées à jamais dans la mémoire collective ?

Envisager la retransmission d’un procès pénal comporte des inconvénients préjudiciables à l’harmonie et à la cohérence de notre arsenal juridique actuel. Elle requiert une réflexion approfondie et une expérimentation éprouvée pour en permettre une organisation rigoureuse. La justice ne s’accommode pas de spectacle. Allier le droit du public à l’information, la constitution d’archives judiciaires et les droits de l’homme peut se réaliser sans fragiliser les principes et valeurs sur lesquels s’est construit notre droit pénal. La justice humaine n’est pas infaillible. Elle se trompe. Elle commet des erreurs. L’exposer par une retransmission audiovisuelle de son office peut conduire à des conséquences déplorables.

C’est fort de tous ces éléments que les médias audiovisuels devraient s’abstenir de diffuser tels quels des éléments du procès en attendant que les modalités précises soient déterminées de façon appropriée. Par conséquent, le CNRA invite les médias audiovisuels à se conformer strictement au cadre juridique qui dans notre pays, organise le traitement des affaires pendantes devant les juridictions.

L’ASSEMBLÉE DES CONSEILLERS DU CNRA

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