Avis Trimestriel (Juillet-août-septembre 2015)

A l’ère  du numérique : pour une  responsabilité  partagée

L’article  14 de la loi no 2006-04 du  4 janvier 2006 portant création du  Conseil national de  Régulation de  l’Audiovisuel (CNRA) fait  obligation à notre institution de  publier, à la fin  de chaque trimestre, un  avis  donnant des  indications sur  les dysfonctionnements constatés  dans  le  secteur  de   l’audiovisuel  et  de recommander les mesures et actions  requises pour  les corriger.

Cette  mission s’avère aujourd’hui d’autant  plus   nécessaire et  complexe que notre pays  entame une  véritable révolution technologique grâce au  basculement vers le numérique.

La généralisation des  services de  ce  mode  de  diffusion, la multiplication des chaines de  radios et  de  télévisions, la  fourniture de  nouveaux services, etc., représentent de  nouveaux défis  et  imposent une redistribution des  obligations pour  toutes les parties impliquées dans le paysage audiovisuel sénégalais.

Pour  sa part, le CNRA,  est  plus  que  jamais attaché à ce qui  est  au cœur de la régulation : le contrôle du  respect de la qualité et aussi et surtout celui  des  règles déontologiques.

C’est  à cet  effet qu’au  cours de  sa séance du  15  octobre 2015 il a décidé  de rendre  public le  présent avis  pour, une   fois  encore, attirer  l’attention  sur  les dérives répétitives et quelquefois graves qui  émaillent les programmes de radio  et de télévision.

Cette  adresse est  destinée à la fois aux éditeurs et  diffuseurs de  radio  et  de télévision, aux  journalistes et  animateurs d’émissions et,  de  manière générale, à l’ensemble de la société.

1.  A L’ATTENTION DES ÉDITEURS

Comme  le  mentionnent expressément les  cahiers des  charges applicables aux
éditeurs et  diffuseurs de  programmes audiovisuels, le titulaire est  responsable des émissions qu’il diffuse.  Il est  tenu  au  respect de ses  engagements et c’est  ce qui  fonde  et  justifie  l’auto saisine du  régulateur et   les  procédures de  plaintes reçues  par le CNRA qui font l’objet de  délibérations.

Au  cours du  troisième   trimestre de  l’année 2015  les  relevés  effectués   par  le service de monitoring du  CNRA, les observations faites  par ses membres et celles qui   proviennent  des   usagers  des   programmes audiovisuels, s’accordent à constater que  par  négligence  ou  défaut   d’équipement adéquat,  de  nombreuses chaînes de  radio  et  surtout de  télévision     ont  manqué à certaines de  leurs responsabilités en:

portant atteinte à la dignité  de la personne humaine, comme  ce fut le cas avec la diffusion  d’images de violences  sur  le procès  Hissène  HABRE dans les  journaux de  la  RTS1  du  7  septembre  2015   à  20  heures et  du  8 septembre 2015 à 13 heures;

–     ne  respectant  pas  la  vie  privée  des  invités  ou  en  diffusant des  propos diffamatoires  ou   injurieux,  notamment  au   cours  des   émissions  <<     Liici Rewmi >>de SEN-TV du  2 septembre 2015 et«  Opinion» sur  WALF TV du 6 septembre 2015  ;

–     manifestant une  certaine complaisance dans l’évocation  de  la  souffrance humaine, comme  par  exemple  la publication dans la presse  et la diffusion
à la télé et sur  les sites   d’information  d’images  insupportables du drame survenu à Mina  pendant le pèlerinage  à la  Mecque  2015    qui  ont  heurté l’opinion;

–     faisant  la  promotion  de   partenaires  commerciaux en  l’occurrence une agence  de voyage qui  n’aurait enregistré aucune victime  lors du  drame  de Mina,  comme   ce  fut  le  cas,   à  plusieurs reprises, dans  le  journal   du pèlerinage  de  Sud  FM ;

favorisant la confusion entre  l’information et le divertissement (stigmatisation  de membres de la famille de Thione SECK dans un  sketch de  Walf  Ngonal  du   11  août   2015),     ou  entre   l’information  et  l’opinion (« Wareef >>sur TFM du 30 septembre 2015) ;

–   accueillant une  publicité  pour  des produits ou services  nuisibles à la santé ou non conformes aux  exigences  de la décence  ou de la vérité et susceptibles d’induire en  erreur le consommateur ou d’éveiller  chez  lui de

fallacieux    espoirs.    Ces   dérives     sont   illustrées    dans  les   nombreuses
émissions de radio  et  de télévision  consacrées à la publicité  accordée  aux guérisseurs et aux  produits de dépigmentation.

2.   A L’ATTENTION DES JOURNALISTES

Le journaliste professionnel doit  être  conscient de ses  responsabilités politiques et  sociales   vis-à-vis   de  la  société   tout   en   répondant  au   droit   du   public   à l’information. Il est  le seul  habilité  à animer les programmes d’information et   il lui  revient  de  les  présenter dans la  forme  et  dans les  termes conformes à  sa mission.   La  diffusion   de  propos   injurieux et  diffamatoires  engage  sa responsabilité.     Le journaliste doit  s’abstenir de  prendre part  à  une  publicité commerciale.

Mais  c’est  surtout son  rôle  dans la  conduite des  débats qui  a été  mis  en exergue  au  cours de  ce  trimestre.  Beaucoup d’observateurs  et  d’usagers ont déploré  que  des  journalistes ou    des  animateurs faisant office de  journalistes, aient  oublié qu’ils  doivent,  en  toute  circonstance, garder  la maîtrise de l’antenne ou   qu’ils   se   soient   dispensés  de   la   rétablir  lorsqu’elle  était   menacée.  Les
émissions précitées  « Liici Rewmi »,     sur  SEN-TV, et  « Opinion » sur  WALF -TV, ont  démontré que  la  passivité voire la  complaisance des  journalistes pouvaient servir à attiser une verve destructrice et prêter  à des abus de langage.

3.  RECOMMANDATIONS

Plutôt que de formuler de simples recommandations, le CNRA appelle  tous les acteurs  du    paysage    audiovisuel  sénégalais   à   entreprendre  une    véritable révolution   des   esprits et  des   comportements    parallèlement  à  la  révolution numérique qui s’amorce.

Cette  révolution   passe  d’abord   par  l’amélioration  des  équipements et  des méthodes de travail  et  c’est à ce titre que le CNRA invite les éditeurs et diffuseurs à:

  • assurer  un    meilleur  encadrement   des    émissions  en    direct  ou    de téléréalité ;
  • des   programmes,  la  mise   en   place   d’une  signalétique  et  une meilleure protection des  enfants et adolescents;
  • renforcer  la gestion  de leurs programmes en  s’attachant les  services  d’un responsable des  programmes et  en  mettant en  place,  la  commission de visionnage prévue  par  les cahiers des  charges qui  permet  la classification;
  • poursuivre et  améliorer leur  équipement technique de  façon  à faciliter  le contrôle  des émissions qu’ils diffusent, en se dotant d’un  système  de retardement de  la  voix, comme  l’exige du  reste  l’article  10  la  loi portant création  du CNRA;
  • contenir  la   publicité  dans  des   limites  telles  qu’elle  ne   serve   pas    à promouvoir des  produits faisant   l’objet  d’une interdiction légale  ou réglementaire, ou  à faire  des  enfants des  prescripteurs des  produits dont elle est  l’objet ;
  • conforter leurs journalistes dans leurs prérogatives de maîtres de l’antenne et leur  devoir  de recourir à des  sources diversifiées et crédibles.

Les éditeurs et diffuseurs sont invités à prêter plus d’attention à la promotion de  la diversité, au traitement des  handicapés visuels et  auditifs et  à   favoriser l’émergence  d ‘une   production  locale   de   qualité   pour    promouvoir l’identité nationale et les valeurs publiques et générer de nouvelles ressources.

4. DE LA RESPONSABILITÉ PARTAGÉE

Les téléspectateurs et auditeurs doivent  être  les  principaux bénéficiaires et les gardiens de la liberté de  communication et de la diversité de l’offre audiovisuelle. Le CNRA ne  peut que  se  réjouir de  leur  vigilance  qui  s’est exprimée notamment par  la  condamnation par  l’opinion et  les  professionnels  (Fédération sénégalaise des  praticiens de  la  médecine traditionnelle, CORED) de  l’invasion des  écrans et des   ondes par   la publicité réservée à  des   charlatans,  avec  la  complicité des médias, et la publication d ‘images jugées choquantes par  les proches des  victimes de Mina.

Pour  toutes ces  raisons, le  CNRA reste   particulièrement attentif    aux observations et  plaintes exprimées par  les  usagers des  médias et  conformément aux  articles 17 et  18 de  la loi qui  porte  sa création, il continuera à  tout  mettre en   œuvre  pour  les   examiner    avec   diligence  et     trouver  les   solutions  qui s’imposent, tout  en  respectant la liberté d ‘opinion  et d’expression garantie par  la loi.

Pour l’Assemblée du CNRA

Mohamed Fadel DIA

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