AVIS TRIMESTRIEL (Avril, mai, juin 2015)

« Un secteur audiovisuel au service d’une société plurielle. »

A l’heure où notre pays marque le début de son passage de la diffusion analogique à la diffusion numérique, l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur audiovisuelle est invité à répondre aux défis sociétaux, inhérents à la modernité. Notre paysage audiovisuel, dans une permanente gestation, fonction de son dynamisme technologique, a l’obligation de refléter le caractère fondamentalement pluraliste de notre pays, à travers toutes ses diversités : politiques, syndicales, culturelles, religieuses.

La protection du jeune public et des groupes vulnérables, le respect de la diversité (politique, confessionnelle, confrérique, etc.), l’intégrité des messages publicitaires, le sens des responsabilités dans le traitement des questions de santé publique, sont autant de constantes incontournables qui permettent d’évaluer la pertinence de l’offre audiovisuelle. Outre la créativité, le sens de la responsabilité et de la mesure, c’est la qualité des contenus et la pertinence des programmes que les chaînes de télévision proposeront au public qui seront déterminants.

Conformément à l’article 14 de la loi n° 2006-04 du 04 janvier 2006, le Conseil national de Régulation de l’Audiovisuel, ayant délibéré en sa séance du 02 juillet 2015, rend public le présent avis sur les dysfonctionnements constatés au cours du deuxième trimestre de la présente année et formule des recommandations pour y apporter les correctifs nécessaires.

Les faits identifiés et répertoriés dans le présent avis qui couvre la période du 01er avril au 30 juin 2015, proviennent d’un échantillonnage des résultats des activités de suivi opérées par le service de monitoring du Conseil national de Régulation de l’Audiovisuel.

I/ DYSFONCTIONNEMENTS ET MANQUEMENTS CONSTATES

1. Le non-respect de la diffusion et de la tenue régulière d’émissions ou de débats contradictoires dans les grilles de programmes du service public de l’audiovisuel ;

Le Conseil constate une forte réduction des espaces dédiés à l’expression politique plurielle, prévus par la loi n° 92-57 du 3 septembre 1992 relative au pluralisme à la Radio Télévision.

A titre illustratif, la RTS1, en violation de l’article 15 de la loi n° 2006-04 du 04 janvier 2006, ne propose plus, depuis quelque temps, l’émission « Pluriel » qui doit être programmée toutes les deux semaines.

Par ailleurs, le CNRA déplore la persistance d’un déséquilibre dans le traitement de l’information politique dans les médias de service public au détriment de certains partis politiques en violation des dispositions légales.

2. La diffusion de faits choquants ou de récits en termes crus, pouvant heurter nos valeurs et nos mœurs, à travers certaines émissions, notamment « Petit déj » de Walf TV, « Entre nous » de la Sen TV et de Zik FM, «Xalass » de la RFM, et « Teuss » de Zik FM ;

Sur Walf TV, au cours de l’émission « Petit Dej» du 04 juin 2015, entre 08:10:37 et 08:41:38, un témoignage a été diffusé, dans lequel l’intervenant s’est longuement exprimé sur la relation adultérine entretenue avec sa « tante » (c’est-à-dire l’épouse de son père), suivi des commentaires d’un goût douteux venant de l’un des animateurs de l’émission.

Sur Sen TV et sur Zik FM, dans l’émission « Entre nous » du 30 mai 2015 à 15 h, des jeunes se disent fiers d’avoir des rapports sexuels avec des hommes ou des femmes mariés.
La radio ZIK FM, le 14 avril 2015, entre 08:52:39 et 09:29:13, a diffusé deux témoignages sur une tentative de viol et d’insoutenables sévices exercés sur un enfant, ces témoignages étant ceux de la mère et de la victime.

La RFM, à la date du 15 avril 2015, entre 08:08:14 et 08:09:28, a diffusé des propos attribués à une jeune mère célibataire, apparemment encore mineure, déjà victime de viol à l’âge de 10 ans : elle y accuse sa très proche famille de la contraindre à des actes sexuels avec des personnes adultes, pour en tirer des moyens de subsistance.

3. La persistance des dérapages, des commentaires ne respectant ni la dignité́ humaine, ni la morale ni la vie privée, à travers des revues de presse. ;

Le CNRA déplore très fortement, dans les revues de presse, les dérives verbales, ponctuées de commentaires parfois tendancieux, en reprenant des titres ou des articles de la presse écrite qui peuvent porter atteinte aux Institutions et à la dignité́ de la personne humaine.

A titre d’illustration, la radio Zik FM, dans sa revue de presse du 27 mai 2015, a diffusé des propos insultants pouvant porter gravement atteinte à la vie privée, à l’honneur et à l’intégrité́ de la personne humaine.

4. La persistance de la diffusion d’émissions de télé-achat en violation des principes qui les régissent, de l’omniprésence de produits ou de marques, surexposés sur les plateaux de télévision, la fréquence de bandes-annonces et messages intempestifs sur les écrans de télévision.

5. La publicité déguisée dans certaines émissions en violation des articles 22 et 39 des cahiers des charges applicables aux titulaires d’autorisation de diffusion de programmes audiovisuels qui stipulent :
« Les messages publicitaires doivent être clairement annoncés comme tels »

6. Les conflits et tiraillements entre opérateurs de l’audiovisuel suivis parfois d’échanges de propos injurieux par médias audiovisuels interposés ;

Confronté au triptyque, « éduquer, informer, divertir », la mission principale des médias, notre paysage audiovisuel se révèle riche d’un nombre significatif de chaînes de radiodiffusion mais accuse un manque structurel de diversité et de créativité dans les programmes. Cette situation n’est pas favorable à une saine et stimulante émulation entre les professionnels, au grand dam du public destinataire de l’offre de contenus.

L’énergie déployée par ces professionnels est uniquement utilisée à alimenter et à agrémenter des conflits et divergences sur fond d’accusations mutuelles de plagiat et/ou de vol de concepts audiovisuels, au grand détriment des téléspectateurs.

7. La diffusion d’émissions de jeux sur des radios et télévisions sans aucune visibilité́ ni sur les effets « induits » de participation ni sur l’effectivité́ de la prise en charge juridique de ces jeux conformément à la loi en la matière.

Il s’agit là de la promotion de « l’argent » facile, sans respect des lois et règles qui régissent l’univers des jeux de hasard, notamment l’absence de dispositif juridique faisant foi de gains véritables dans les meilleures conditions.

8. La diffusion, par certaines télévisions, de spots publicitaires faisant la promotion de produits à usage dermatologique, aux vertus « éclaircissantes », sans précaution d’utilisation et dont l’usage pourrait avoir des effets néfastes sur la santé des consommateurs.

II/ RAPPELS ET RECOMMANDATIONS

Face à de tels manquements, qui sont en contradiction manifeste avec les dispositions des textes législatifs et réglementaires en vigueur au Sénégal dans le domaine de l’audiovisuel, le Conseil national de Régulation de l’audiovisuel recommande :

1. de respecter les principes d’équité́, d’équilibre et de pluralisme dans le traitement de l’information politique, conformément à l’article 7 de la loi n° 2006-04 du 4 janvier 2006 ; de reprendre les émissions légales, de débats contradictoires réservés aux partis politiques, à la radio et à la télévision publiques ; de donner un accès équitable aux médias à tous les acteurs politiques, syndicaux et aux organisations reconnues de la société́ civile, conformément aux dispositions de la loi n° 92-57 du 3 septembre 1992 relative au pluralisme à la Radio Télévision ;

2. d’éviter la diffusion et/ou l’amplification de propos ou le récit de faits divers pouvant choquer le jeune public ;

3. de ne pas perdre de vue l’exigence de rigueur et de professionnalisme dans la présentation des revues de presse en évitant les commentaires qui violent les lois et règlements relatifs au respect des Institutions de la République, de la vie privée, de l’honneur et de l’intégrité́ de la personne humaine ;

4. de respecter les dispositions de l’article 40 du cahier des charges applicable aux titulaires d’une autorisation de diffusion de programmes audiovisuels qui précise que pour une période d’émission d’une heure, la durée des messages publicitaires ne peut excéder 20% ;

5. de respecter les dispositions des articles 22 et 39 des cahiers des charges applicables aux titulaires d’une autorisation de diffusion de programmes audiovisuels ;

6. de promouvoir et de partager les conditions structurantes inhérentes à une dynamique professionnelle, dans le respect de la libre et saine concurrence entre entreprises de communication audiovisuelle ;

7. de prendre les dispositions nécessaires pour encadrer juridiquement les jeux organisés faisant appel à la participation des populations ;

8. de mettre un terme, sans délai, à la diffusion de spots publicitaires au profit de produits dermatologiques, supposés avoir des vertus « éclaircissantes » ; dans le strict respect des dispositions de la loi n° 83-20 du 28 janvier 1983 relative à la publicité, les éditeurs de programmes audiovisuels doivent prendre leur responsabilité et veiller à la nécessité de préserver le public de pratiques à risques pour leur propre santé.

Le Conseil national de Régulation de l’Audiovisuel accordera une attention particulière à la mise en œuvre effective de ces recommandations par tous les acteurs du secteur, en vue de corriger les manquements constatés et d’éviter qu’ils ne se reproduisent.

L’Assemblée du CNRA

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